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De cultura

Par Samuel Gaudreau-Lalande

 

L'importance accordée au soutien de la culture au Québec s'est considérablement accrue depuis un demi-siècle. Les différents gouvernements qui se sont succédés avaient compris que la survie de l'identité québécoise, en l'absence du facteur identitaire qu'était la religion, passait par la protection de la langue et que la meilleure manière de la protéger était d'en faire le principal vecteur de la culture populaire. Cet objectif fut atteint si bien qu'il n'y a pas à craindre à moyen terme un changement dans les goûts culturels des Québécois: en musique, les ventes de disques d'interprètes tels Garou ou Wilfred surpassent de loin les ventes de ceux de nos voisins sudistes; à la télévision, où les téléromans présentés naguère étaient des navets d'importation, rappelons-nous un instant les succulents Bay Watch ou Beverly Hills, des productions québécoises ont pris le relais et retiennent les cotes d'écoute de façon remarquable. Même dans le domaine du cinéma, forteresse inébranlable de la culture étasunienne s'il en est une, les productions québécoises, depuis quelques années, semblent augmenter leurs parts de marché. La culture québécoise semble donc s'imposer dans sa spécificité et ses bases semblent très solides.

De fait, la culture est en bien meilleur état au Québec que dans le reste du Canada. Plus que jamais nous avons l'impression que le Québec est ce qui différencie le Canada des États-Unis. La situation, cependant, est plus précaire qu'il n'y paraît. Bien que le danger que la population se tourne vers une autre culture ne soit plus à craindre, le fait que l'élite du monde culturel ne trouve pas au Québec les conditions qui lui permettraient de s'épanouir complètement et que ses amateurs doivent se tourner vers d'autres cultures pose un problème important.

Un pays survit par ses artistes populaires alors que son âme et sa fougue sont données par ses meilleurs artistes. Marie-Hélène Thibert ou Les trois accords maintiennent en vie la culture du Québec alors que Richard Desjardins ou Les abdigradationistes lui insufflent une personnalité propre. Ce ne sont pas Johnny  Halliday et Patrick Bruel qui incarnent la France, mais plutôt Ferré et Brassens.

Il s'agit donc pour un gouvernement soucieux de préserver l'unicité culturelle du Québec d'encourager non pas seulement les arts populaires mais aussi ceux qui visent un public plus exigeant: c'est de cette seule manière que peut être engendré un sentiment de fierté de l'identité québécoise. Cette fierté était en partie incarnée par la danse contemporaine, dont Montréal était jusqu'à tout récemment la capitale internationale. Cependant, des difficultés très sérieuses (problèmes financiers récurrents de La La La Human Steps, disparition du Festival International de Nouvelle Danse, fermeture de la Fondation Jean-Pierre Perrault) ont fait perdre ce statut à Montréal. Le milieu continue à fonctionner, mais à vitesse réduite. Que peuvent faire danseurs et chorégraphes face à un État qui ne leur donne pas les moyens de leurs immenses capacités? Ils ont le choix entre une vie de misère (un salaire moyen de 13 500$) ponctuée de quelques créations et l'expatriation dans l'espoir d'une plus grande reconnaissance.

Les gouvernements récents du Québec semblent croire qu'ils ont accompli tout ce qui était en  leur pouvoir en matière culturelle et se contenter de la bonne santé de la culture populaire. L'erreur est monumentale: une culture ne peut se porter bien que lorsqu'elle a des modèles sérieux et forts qui peuvent se comparer à ce que l'on fait de meilleur ailleurs dans le monde. Alors seulement cette culture peut devenir une référence identitaire puissante.