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Par le biais d’un projet de société

Par Andrew

 

          Certains soutiennent que ça ne vaut pas la peine d’essayer de définir la philosophie. Ils ont sûrement raison, dans la mesure où il est vain d’aspirer à une définition applicable en tout temps. Cependant, il m’apparaît qu’ignorer un tel effort vers l’entente académique implique un geste d’irresponsabilité. Mon propos est passablement ironique, notamment puisque ma formation n’est pas en philosophie. Néanmoins, je crois que toute approche académique est nourrie d’ambitions philosophiques et que l’éthique de la méthode philosophique ne diffère pas tellement de celle des sciences sociales. Dans ce petit texte, je tenterai de faire un bref sommaire de mon projet de doctorat, tout en portant particulièrement attention à son caractère éthique. Si je prétends avoir des réponses à fournir, c’est seulement par le besoin de soutenir une position.  

          Le terrain sur lequel je m’aventure dans mon doctorat est celui des « théories de reconnaissances ». Axel Honneth est la figure centrale de ce champ de la théorie critique.  Il puise son inspiration d’une génération plus vieille qui compte notamment Jurgen Habermas, Michel Foucault et Charles Taylor. Sa thèse principale est que l’histoire de la modernité occidentale peut être interprétée selon une « structure logique » émanant des luttes sociales émancipatrices. Cette structure serait basée sur la motivation d’établir les conditions nécessaires à l’épanouissement du soi (i.e. self-realisation). Ces conditions, qu’Honneth interprète à travers les travaux d’Hegel et de George Herbert Mead, sont celles de l’amour, des droits et de l’estime. Déléguées par la communauté, elles permettent à l’individu de se façonner une relation-à-soi de confiance, de respect et d’estime, respectivement. Avec ces qualités, l’individu est en mesure de s’épanouir conformément à ses rêves et ambitions.           

          Il y a beaucoup de prémisses controversées dans la théorie d’Honneth. Je n’en nommerai que deux. Il y a, d’une part, l’idée selon laquelle le moteur de l’histoire est ancré au sein de l’individu. On y retrouve, d’autre part, le fait que l’importance accordée aux difficultés économiques est [t1] moindre que celle accordée aux facteurs de reconnaissances comme l’amour, les droits et l’estime. Le but de mon projet est d’utiliser la Révolution Tranquille des années soixante comme exemple de lutte émancipatrice pouvant valider certaines de ces suppositions. Cela dit, le thème que je soulève ici est orienté plutôt vers une interrogation sur la pertinence du genre de projet que propose Honneth. Est-ce un projet qui devrait attirer le meilleur de nos énergies intellectuelles-pragmatiques ? Est-ce, au contraire, un projet anti-philosophique, voire même dogmatique, comme l’affirmeraient peut-être les grands passionnés de la déconstruction? 

          À écouter les propos de beaucoup de mes collègues étudiants, je serais porté à croire que la deuxième opinion domine notre culture académique ou, du moins, que les domaines qui attirent le meilleur de nos énergies intellectuelles sont ailleurs. Est-ce philosophiquement possible de déchiffrer quelque chose qui ressemblerait à un « moteur historique » de l’agir humain? Est-ce possible, ou même désirable, d’élaborer des formulations basées sur des critères associés au « progrès moral »?  Ces questions, disons « historico-métaphysiques », sont sûrement importantes et Honneth a dû les poser lui-même. Ce que je veux souligner, dans le contexte des penseurs de ma génération, c’est que toute poursuite intellectuelle qui pose des questions métaphysiques, ontologiques ou épistémologiques (i.e. purement philosophiques) devrait le faire par le biais d’un projet de société. Poser ces questions sans égards aux buts et conséquences pratiques, c’est se soumettre à la décadence irréfléchie qui caractérise une grande partie de la culture occidentale.   


 [t1] Il faut ici mettre un indicatif parce que le fait évoqué est réel